

Imposant, puissant et difficile à jouer : l’orgue est l’un des instrument les plus complexes mais aussi les plus sous-estimés du monde de la musique. Initialement joué dans les églises, il commença peu à peu à émerger sur les scènes jazz, pour connaitre son âge d’or dans les années 1950. Venez découvrir son histoire accompagnée de notre playlist spécialement composée d’artistes qui qui ont vu en cet instrument tout le potentiel qui s’en dégageait.
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Thomas “Fats” Waller et Thomas Morris And His Hot Babies : “Savannah Blues” et “Please Take Me Out of Jail”
L’arrivée de l’orgue dans le monde du jazz se joua grandement entre les mains de Thomas «Fats» Waller, et avec ses pieds aussi par ailleurs, essentiels pour jouer de cet instrument. Sur une série d’enregistrements des années 1920, Waller revient à ce qu’il appelle son “premier amour” : l’orgue à tuyaux. Cet instrument, difficilement transportable, était majoritairement présent dans les églises de gospel. Il fut plus tard néanmoins réadapté pour une utilisation dans les théâtres et les premiers cinémas, mais ne se prêtait pas particulièrement aux groupes de jazz traditionnels. “Savannah Blues” (1927) et “Please Take Me Out of Jail” (1928), joués par Waller et le petit groupe Thomas Morris and his Hot Babies, représentent les premiers enregistrements d’un groupe de jazz avec un orgue.


Count Basie – “I Want A Little Girl”
Savoir jouer de l’orgue était une bonne manière de boucler les fins de mois difficiles pour les musiciens de jazz encore peu connus. Count Basie a eu la chance d’apprendre à jouer de cet instrument avec Fats Waller lorsqu’ils se sont rencontrés à Harlem, en 1925. Au cours des années qui ont suivi, Basie a joué de l’orgue pour des spectacles de vaudeville : fournir sa musique aux concerts et représentations populaires lui permit de parfaire sa technique.
Après avoir atterri au Kansas, il gagna sa vie en accompagnant à l’orgue des films muets. À la fin des années 1930, lorsque l’orgue électrique, évidemment moins encombrant, fait son apparition, Basie s’adapte rapidement et utilise les nouveaux sons de cet instrument pour ajouter une texture riche à certains de ses enregistrements. La chanson “I Want A Little Girl” provient d’un album plus récent du début des années 1960 et montre la capacité de l’artiste à améliorer ses arrangements en utilisant l’orgue avec une subtilité nouvelle.
Le rapide développement de l’orgue à console électrique dans les années 40 et 50 put se faire grâce aux innovations de la société Hammond spécialisé dans la création de cet instrument. Ils devinrent de plus en plus portatifs et commencèrent ainsi à trouver leur place sur la scène jazz. Basie lui-même l’a intégré dans le swing, influençant ainsi Wild Bill Davis et Milt Buckner, futurs grands organistes.
Roland Kirk & Jack Mcduff – “Three For Dizzy” // Baby Face Willette – “They Can’t Take That Away From Me”
Avec la création du Hammond B3 en 1954, un modèle d’orgue électrique, l’âge d’or de l’orgue dans le jazz a vraiment commencé. Avec sa capacité à produire des sons de percussion et une riche variété de tonalités et de voix, la taille handicapante de l’instrument était contrebalancée par la rentabilité que constituait un trio de chefs d’orgue, capable de reproduire virtuellement le son d’un groupe tout entier. Jimmy Smith, un jeune pianiste né à Philadelphie, a vite compris le potentiel de l’instrument. Il décida d’apprendre à jouer lui-même sur le Hammond B3 et connut ainsi un succès grandissant. L’influence de Smith sur l’orgue de jazz est considérable, notamment ses techniques de bebop qui n’avaient jamais été tentées précédemment. Le style de Smith a permis d’ouvrir la voie à tous les grands organistes de l’époque.
Dans ce titre de Jack McDuff et Roland Kirk, on peut entendre l’orgue façon bebop sur le titre “Three For Dizzy”. Baby Face Willette s’inspire clairement de Smith tout en insufflant à son son un retour aux racines gospel de l’instrument sur “They Can’t Take That Away From Me”.



Richard Holmes – “Groove’s Bag”
Richard « Groove » Holmes, un autre acolyte de Smith, mélangea des éléments de hard bop et de soul-jazz sur une série d’albums très réputés des années 1960. Le titre “Groove’s Bag” est tiré de son album After Hours de 1962, sur lequel il est accompagné par Joe Pass à la guitare et le superbe Lawrence Marable à la batterie.
Ray Charles – “I’ve Got News For You”
Une grande partie de l’évolution musicale de l’orgue de jazz fut liée aux innovations du maestro Jimmy Smith dans les années 1960. Cependant, le grand Ray Charles a détrôné Smith en jouant sur le Hammond B3 aux côtés d’un grand groupe dans l’album Genius + Soul = Jazz, pour le label Impulse, quelques années avant que Smith enregistre ses propres albums avec un big band. Accompagné des membres de l’orchestre de Count Basie et arrangé par Quincy Jones et Ralph Burns, Ray Charles est au meilleur de sa forme tout au long de l’album, et “I’ve Got News For You” pousse les genres jazz et swing encore plus loin.


Jimmy McGriff – “I’ve Got A Woman”
Jimmy McGriff, qui a appris à jouer au sein de la prestigieuse école de musique Juilliard de New York, a enregistré une version instrumentale funky et étonnamment agressive du titre de Ray Charles “I’ve Got A Woman” pour le label Sue. McGriff resta lié à ce label pendant toute une série d’albums soul-jazz phénoménaux, alors même que Sue s’éloignait du jazz pour devenir plus soul et R’n’B, devenant d’ailleurs l’un des labels les plus réputés de tous les temps. En effet, plus les années passaient et plus l’orgue était entendu sur des enregistrements de soul et de R’n’B. Il y avait encore beaucoup de titres de pur jazz, tel que le style de Larry Young, mais à la fin de la décennie, la popularité de l’orgue de jazz avait finalement presque totalement disparu.